« Dans notre culture, on ne parle pas de sexualité, c’était déjà le cas en Union soviétique »
Anzhelika Zoloch est une psychologue ukrainienne expérimentée qui conseille depuis de nombreuses années les personnes vivant avec le VIH. Au cours de sa carrière, elle a notamment travaillé pour 100% Life, la plus grande ONG (Organisation Non Gouvernementale) d’Ukraine pour soutenir les personnes vivant avec le VIH. Toutefois, lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, la jeune femme a dû quitter son pays. Elle vit désormais en Suisse, où elle poursuit, autant que possible, son travail de soutien aux personnes vivant avec le VIH.
Marlon Gattiker : Quels sont les mythes liés au VIH en Ukraine ?
Anzhelika Zoloch : Que le VIH ne touche que les personnes toxicomanes. Mais cela n’est bien sûr qu’un mythe. De nos jours, les personnes toxicomanes sont très bien informé·x·e·s et connaissent les bonnes pratiques. IElles sont d’ailleurs mieux informé·x·e·s que les autres en matière de prévention. Elles savent aussi que faire en cas de dépistage du VIH. Il existe des sites mobiles et fixes où elles peuvent s’approvisionner en seringues.
Peux-tu nous citer d’autres exemples d’idées reçues sur le VIH en Ukraine ?
Les gens pensent que le VIH et le SIDA sont la même chose. Ils ont très peur et pensent que le VIH est gage de mort. En Ukraine, l’autostigmatisation constitue un problème presque plus important que les discriminations. C’est pourquoi les campagnes de sensibilisation à l’école sont si essentielles. J’y participais d’ailleurs moi-même. Mais les enseignant·x·e·s sont souvent gêné·x·e·s : ils et elles n’osent pas aborder les questions de sexualité. Alors nous apprenons aux élèves à parler de sexualité avec leurs parents.
De manière générale, est-il facile de parler de sexualité en Ukraine ?
Dans notre culture, on ne parle pas de sexualité, c’était déjà le cas en Union soviétique. Les mères ne parlent pas de sexualité avec leurs enfants. C’est pourquoi j’encourage les jeunes à parler de sexe avec leurs parents. Malheureusement, il y a aussi beaucoup de discriminations autour des différentes orientations sexuelles et affectives. Il existe ce mythe que l’homosexualité se transmettrait via les gouttelettes dans l’air. Or, l’émergence de tels mythes découle largement du refus de laisser cours à différentes orientations sexuelles et identités de genre. Les personnes mal informées craignent que la sensibilisation aux thématiques LGBT ne conduise leurs enfants à devenir queer. À l’école, la sexualité est seulement abordée en marge des cours de biologie. Le vrai travail de sensibilisation est mené par les ONG, comme celle pour laquelle j’ai travaillé.
Et comment les parents ont-ils réagi à ces campagnes de sensibilisation ?
Parfois, j’ai eu quelques problèmes avec des parents. Une fois, une femme m’a appelée une centaine de fois pour se plaindre de mes contenus de cours d’éducation sexuelle. Elle trouvait cela inadmissible. Mais après tout, elle apprend à sa fille qu’on ne fait pas l’amour avant le mariage, alors... Je lui ai expliqué que la santé sexuelle était un sujet très important, justement pour se protéger. Ça a été un échange constructif avec cette mère. À la fin, elle m’a dit qu’elle venait d’une famille très religieuse, mais qu’elle comprenait l’importance de mon travail.
Quelles sont les conséquences de la guerre pour les personnes vivant avec le VIH ?
Les personnes vivant avec le VIH qui sont mobilisées sur le front veillent à emporter des médicaments en plus grande quantité et quand elles sont en permission, elles en profitent pour se procurer de nouveaux médicaments. À ma connaissance, l’approvisionnement en médicaments fonctionne. De plus, toutes les personnes mobilisées doivent se faire dépister pour le VIH avant de partir au front. C’est là encore un moyen d’informer sur le VIH, notamment auprès des jeunes. Car beaucoup se soumettent au test.
Comment la question du VIH était-elle abordée en exUnion soviétique ?
Le gouvernement a préféré mettre cette question sous le tapis plutôt que de s’occuper des personnes malades du SIDA. Le VIH a été passé sous silence, notamment en raison de la prévalence dans la population gay. Le traitement psychiatrique forcé des personnes homosexuelles était très redouté et une infection au VIH pouvait toujours être interprétée comme « un indice d’homosexualité ».
Dans quelle mesure ces préjugés suscitent-ils encore des réserves à l’égard de la psychothérapie ?
En raison du traitement forcé, les personnes se montrent encore très sceptiques à l’égard de la psychothérapie. De manière générale, se faire aider par les institutions reste inenvisageable pour beaucoup – ce sont là les vestiges de la méfiance qui régnait au sein de l’Union soviétique. Mais malgré tout, un grand nombre s’intéressent à la psychothérapie, veulent s’informer sur le sujet via les réseaux sociaux et voir ce qu’ils ou elles peuvent faire pour aller mieux.