Dissiper la peur !
Ellen Cart-Richter vit avec le VIH depuis 2017. Cette mère de trois enfants adultes, âgée de 55 ans, est infirmière en chef dans un grand établissement. Elle s’engage comme mentore pour les personnes vivant avec le VIH au CHUV (Centre hospitalier universitaire vaudois).
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Promotion: Positive Life - Le podcast sur la vie avec le VIH.
David Jackson-Perry: Bonjour, je m'appelle David Jackson et vous écoutez le podcast Positive life et mon invitée aujourd'hui est mère de trois enfants adultes. Elle est aussi infirmière cheffe dans une grande institution de la région. On travaille aussi ensemble au CHUV dans le cadre d'un projet de mentoring, mais aussi sur des projets divers, de recherche par exemple. Et dernièrement, le 8 mars dernier, elle a été un peu la maitresse de cérémonie lors d'un événement qu'on a organisé autour justement des femmes et le VIH. Ellen Cart-Richter, salut.
Ellen Carter-Richter: Salut.
David Jackson-Perry: Merci d'être avec moi aujourd'hui.
Ellen Carter-Richter: Merci de m'avoir invitée.
Avec plaisir, comme toujours. Donc je t'ai présenté là avec ton nom complet, Ellen Cart-Richter. Ce n'est pas mon habitude dans ce genre de podcast, nécessairement. Mais pour toi, je sais que c'est important aujourd'hui de vivre ouvertement, voire publiquement avec le VIH. Mais je sais aussi que ça n'a pas toujours été le cas. Est-ce que tu peux nous parler un petit peu de ton processus vers ce moment où tu parles comme ça ouvertement? Je sais qu'il y a à peu près six ans, tu as vécu ce que tu as appelé le tsunami du diagnostic et je pense que c'est compréhensible pour tout le monde. Mais quel était le processus par la suite? Qu'est-ce qui s'est passé par la suite pour toi?
Alors par la suite, je pense que la première réaction, c'était un mélange de peur et de colère. D'abord la peur, parce que, en tant qu'infirmière, j'ai fait ma formation en Angleterre, à Londres. Vous n'entendez pas mon accent? Je suis anglaise d'origine et moi je vais travailler au Saint Bartholomew Hospital dans un des premiers services qui accueillait des personnes qui avaient le sida.
C'était à quelle époque?
C'était de 1986 à 1990. Donc c'est un service qui était ouvert 24 h sur 24. Les gens n'avaient pas besoin de passer par un autre médecin ou par les urgences pour entrer et ils étaient vraiment malades. Et ma première image, ma première pensée, c'étaient ces gens qui sont morts dans mes bras. J'en ai eu trois qui sont carrément morts dans mes bras avec vraiment des problèmes graves liés au VIH qui s'était développé en sida et pour moi, j'allais mourir. Donc ma première réaction c'était que j'allais mourir.
Pourtant, tu es infirmière, tu connaissais, je pense un peu l'évolution des traitements, etc.
Je savais qu'il y avait énormément d'augmentation dans l'efficacité des traitements, mais je n'étais pas dans le domaine de l'infectiologie. Donc je n'étais pas au courant à quel point. Je savais que c'était mieux, mais c'était quelque chose que j'allais devoir découvrir. Mais sur le moment, je ne savais pas. Et puis une immense colère contre la personne qui m'avait infecté parce que j'imaginais bêtement que c'était la faute à l'autre. Et pour moi, c'était... Ouais, j'avais besoin au début de trouver qui c'était et ça, ça m'a détruit. Ce n'était pas positif du tout.
Cette colère, cette peur.
Exactement. Ce n'était pas bénéfique. Puis tout d'un coup, je me suis rendu compte que c'était moi. Moi j'ai découvert ça en 2017. Et puis pendant ce temps, j'ai eu la fin de mon mariage et une nouvelle relation qui a commencé et je ne savais pas que j'avais ce agnostique. Donc en fait, moi j'aurais pu aussi infecter d'autres sans le savoir. Puis quand j'ai enfin réalisé ça, ma colère est partie, mais complètement. Parce que je me suis rendu compte que moi, j'aurais pu aussi infecter quelqu'un sans le vouloir et puis que la personne n'était pas forcément responsable de mon état.
Et qu'est-ce qui a pris le relais de cette colère,
Cette colère, c'est devenu malheureusement de la honte. La honte. Je viens d'un milieu très religieux, évangélique, où déjà le fait de divorcer, c'est la plus grande honte. Le fait d'avoir d'avouer que visiblement je n'ai pas fait l'amour uniquement avec mon mari, ça pour moi, c'était énorme d'imaginer le jugement de tous mes amis, tout l'entourage. Donc, tout de suite, j'ai commencé à cacher. C'était impossible pour moi de le dire à qui que ce soit.
Donc là du coup, ce qui me vient, c'est qu'en fait, il y a beaucoup de passé dans tes réactions. D'abord, il y a ce passé en image de ce que tu as pu vivre dans les années 1980 ou que tu as pu voir dans les années 1980. Et en plus il y a ce passé par rapport à ta famille, ce milieu familial très conservateur et religieux.
Absolument oui, et puis pas que la famille. Tous mes amis étaient en lien avec l'église, donc c'était tous mes amis, tout mon monde. Ceux qui normalement aurait dut être mon groupe de soutien, je ne pouvais pas leur en parler par peur du rejet. Peut-être je n'aurais pas été rejetée. Et on peut revenir à ça après quand on va plus loin. Mais au début, c'était vraiment ça, donc je portais cette honte en moi et c'était lourd de garder ce secret, d'avoir peur que quelqu'un puisse le savoir et puisse après l'utiliser contre moi. Je me faisais plein de scénarios qui n'étaient pas positifs. Et puis vraiment c'était lourd.
Et puis quand est-ce qu'il y a un changement? Parce que nous sommes ici aujourd'hui, donc il y a eu un changement. C'était quoi l'amorce? Comment est-ce que ça a commencé, ce changement? C'est quoi ce deuxième "processus", de la honte et d'évoluer vers la position, la posture que tu as aujourd'hui.
Alors, je pense que ça a commencé quand, bien sûr très rapidement, j'ai été prise en charge et accompagnée par le CHUV, par toute l'équipe du CHUV et que j'ai compris que je n'allais pas mourir. En fait, mon espérance de vie était la même que n'importe qui d'autre et même meilleure que quelqu'un qui a peut-être un cancer ou du diabète, etc. Je n'avais pas du tout de complication de santé, donc c'est devenu quelque chose... Je prends une pastille par jour le soir et je n'y pense plus. Donc c'était déjà, la maladie n'était plus une lourdeur, mais seulement le secret était une lourdeur. Et là, je me suis dit que je me faisais du mal à moi-même en voulant à tout prix garder ce secret et m'empêcher de vivre de manière authentique.
Donc là, on voit bien en fait ces deux VIH. Encore une fois, ce VIH médical où tu es assez rapidement rassurée au niveau médical. Et puis après il y a ce VIH social, plus complexe donc.
Absolument.
Comment tu vis depuis là alors?
Pendant le COVID, j'ai eu peur parce que je ne savais pas du tout si j'étais plus à risque si j'attrapais le COVID. Ça, ça m'a fait quand même un peu peur. Et puis il y avait au CHUV, le département du CHUV a fait une série de petits trucs. Ça s'appelait comment déjà?
Ah oui, c'était une sorte de conférence en ligne que j'avais organisé effectivement, qui s'appelait "Une maladie chronique comme une autre?" [Point d'interrogation]. Voilà. Effectivement, il y a une douzaine de personnes, de plein de milieux différents qui ont enregistré effectivement des petites vidéos de leur point de vue.
Exactement. Alors moi, j'ai écouté ça bizarrement pendant que j'avais le COVID depuis mon lit. Puis j'en ai écouté un, j'en ai écouté un deuxième, j'en écoute un troisième. J'ai beaucoup aimé le tien, je te lance des fleurs. Et puis je les ai tous écoutés et j'étais... Il y avait le professeur qui a parlé.
Mathias Cavassini.
Voilà, qui est vraiment... On voyait son émotion, sa passion pour ce qu'il faisait et pour les personnes qui ont ce diagnostic. Et là, il m'a énormément touchée par son implication et toi aussi. Le fait que tu ais osé te dévoiler, ça m'a beaucoup parlé. Mais je suis restée sur ma faim parce qu'il n'y avait personne qui me ressemblait. Il y avait des femmes qui ont parlé de leurs recherches, des femmes qui ont parlé de ce qui se passe en Afrique. Mais il n'y avait pas de femmes européennes, blanches, hétérosexuelles qui osaient parler.
Donc tu ne trouvais pas ton miroir en fait.
Non, exactement. Et justement. Puis après, je me suis levée et je suis allée me regarder dans le miroir et me suis dit "Mais Ellen, tu fais tout pour le cacher. Donc, comment est-ce que tu veux que quelqu'un d'autre ose, si toi tu n'oses pas?". Et là, je me suis rendu compte que j'étais quand même dans une position assez privilégiée. Parce que je suis infirmière, je peux comprendre, j'ai accès à l'information, toute l'information qu'il me faut. J'ai aussi le soutien d'une famille. J'ai le soutien autour de moi de personnes. Je me suis dit "Ellen, il faut que tu oses". Et puis là, j'ai demandé à te rencontrer parce qu'on ne se connaissait absolument pas. Là, je t'ai rencontré dans un premier temps. Et puis après, petit à petit, avec des fonds de choses qui se passent au CHUV, j'ai dit "Je veux m'impliquer". Je veux faire partie de quelque chose qui change ce stigmate sur les gens qui ont le VIH. Il faut qu'on change ces idées qui datent des années 1980 qui ne sont plus du tout d'actualité pour le VIH social.
Ces images justement qui t'avaient toi fait peur aussi en 2017. Effectivement. Et puis je me souviens bien, cette rencontre qu'on a eue à l'Antenne de la consultation ambulatoire, sur la terrasse, et on a passé un long moment ensemble.
On a passé plus de 2 heures.
Speaker2: Oui, on a passé très longtemps ensemble et puis c'était un moment très émouvant pour moi, je pense pour toi aussi.
Absolument.
Et on s'est quittés avec des gros câlins à la fin. Oui.
J'ai trouvé un frère.
J'ai trouvé une frangine. Et puis je sais qu'à l'époque, par exemple, quelque chose qui te travaillait c'était naviguer le "à qui dire" et le "comment le dire". Même à l'intérieur de ma propre famille, à qui est-ce que je parle? Est-ce que tu peux nous parler un petit peu de ça, de ces enjeux avec par exemple tes enfants?
Alors c'est vrai qu'au début, je ne voulais absolument pas dire quoi que ce soit à mes enfants parce que je ne voulais pas leur mettre un fardeau. Pour moi, le diagnostic, au début, c'était un fardeau. Et petit à petit, avec la compréhension, avec toutes les informations, avec le soutien, je me suis rendu compte que ce n'était pas une sentence de mort, donc c'était plus un fardeau. Et cette envie de partager est devenue plus forte. Je me suis dit au début, je ne connaissais pas suffisamment pour pouvoir rassurer mes filles parce que j'avais peur moi-même. Et c'était le fait de ne plus avoir peur moi-même qui a fait que c'était plus facile à partager parce que je pouvais les rassurer. Puis je suis infirmière jusqu'au bout. Je voulais prendre soin. Et maman, je voulais prendre soin de mes enfants. Je ne voulais pas leur donner un fardeau avec quelque chose avec lequel elles ne pouvaient strictement rien faire. Puis là, je me suis rendu compte qu'il y a quelque chose qu'elles peuvent faire, c'est qu'elles peuvent me soutenir. Et puis elles peuvent être fières de moi. Donc petit à petit, j'ai dit à mes enfants. Je l'ai dit d'abord à ma fille aînée quand on est parti en voyage pour un long week-end. Ça lui a donné le temps aussi de me poser plein de questions. On a fait 10 heures de voiture ensemble, donc on n'était que les deux. Voilà. Puis pas longtemps après, je l'ai dit à une autre de mes filles parce qu'elle a eu un accident. Et puis on a passé pas mal de temps à l'hôpital ensemble. Et puis ma dernière fille qui est ma deuxième fille, je le dis en dernier parce qu'elle allait se marier. Et de nouveau, maman ne voulait pas prendre de la place. Je ne voulais pas, toujours dans la peur, je ne voulais pas que peut-être ça puisse avoir une influence sur le mariage, sur comment la belle-famille pouvait la voir ou me voir et tout ça. De nouveau, cette peur du regard de l'autre. Et je leur ai annoncé après leur mariage, quelques mois après. Et puis, chaque fois, quand je l'ai dit à ma fille, je l'ai dit aussi à son conjoint que ce soit ma fille qui vient de se marier ou ma fille aînée. J'ai dit "il faut que tu puisses en parler avec quelqu'un". Donc tu peux parler à ton copain. Mais au début c'était "Je vous dis ça à vous, mais il ne faut pas en parler autour de vous. Vous pouvez parler avec moi. Vous pouvez venir avec moi pour rencontrer toi, David, ou Matthias Cavassini, mais ne parlez pas autour parce que pour le moment, je ne suis pas prête". Donc c'était vraiment mes enfants. J'avais déjà dit à un de mes frères avec qui j'ai un très très bon contact, mais je n'ai jamais rien dit à mes parents.
Donc, si je comprends bien, tu as dû en fait déjà "résoudre" ces questions de ta propre colère, de ta propre peur, de ta propre honte. C'était un passage obligatoire pour pouvoir après en parler de manière adéquate à ta fille, à tes filles par exemple.
Absolument.
Et puis voilà, j'ai dans ma tête, tu sais, on est en train de faire des films pour ce festival, Positive Life Festival, que l'on est en train de produire. Et j'imagine une scène de film où la mère et la fille dans la voiture pendant dix ans, pardon, pendant dix heures. Dix heures ça pourrait sembler être dix ans, peut-être par moment.
C'était un soulagement, tu sais.
Pour toi c'était un soulagement.
C'était un soulagement. Et puis de dire d'être authentique avec moi, avec ma fille, de ne plus avoir ce truc que "il ne faut pas que je leur dise". Elles savaient toutes que j'étais suivie par le CHUV, que j'avais un virus. J'avais toujours parlé d'un virus qui avait muté dans mon corps, qui était hyper intéressant pour les médecins. Ils voulaient m'étudier, donc je pouvais, je devais aller beaucoup plus souvent, etc. Puis elles n'ont jamais posé d'autres questions.
Et puis, durant ce trajet en voiture de 10 heures et non pas dix ans, c'est quoi les questions qu'elle avait ta fille? Tu te souviens?
Comment j'allais? Pourquoi je n'avais pas osé lui dire avant? Bien sûr qu'elle n'allait pas me rejeter et que j'avais louper toutes ces années de soutien. Pourquoi j'avais décidé de lui dire à ce moment-là? Pour toutes ces raisons qu'on a discutées avant. Et puis après c'était fini. Moi, j'étais étonnée qu'elle n'ait pas plus de questions. Elle me faisait confiance. J'ai répondu aux questions que je n'allais pas mourir. C'était vraiment le truc toujours avec les enfants. Parce que j'avais déjà eu un cancer bien avant, une vingtaine d'années. Elle a eu beaucoup plus peur quand elle a su ça que quand elle a su le diagnostic du VIH.
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Donc depuis qu'il y a ce très grand changement quand même, déjà au niveau familial, au niveau du cercle restreint disons de la famille et peut-être des amis proches. Qu'est-ce qui a changé pour toi déjà depuis que tu te permets d'en parler avec tes proches?
Alors ça m'a permis aussi en parallèle à peu près en même temps, j'ai commencé à travailler avec le CHUV entre Unisanté et le CHUV, sur différents projets de recherche autour du VIH. Et justement, un des projets, c'était sur le stigmate qu'on a fait ensemble et le résultat de cette recherche et tout ce qu'on a vu, c'est que justement le VIH social était beaucoup plus néfaste que le VIH médical. Et ça, ça m'a encouragé à dire ok, n'arrête pas juste avec les enfants, tu peux aller plus loin, tu peux en parler autour de toi, tu peux utiliser ça pour aider les autres. Et c'est là où ensemble, tu m'as contactée pour le projet d'entraide.
On va revenir sur le projet d'entraide. Effectivement, je me souviens quand on a commencé ce projet de recherche sur la stigmatisation. Effectivement, tout au début, avec les questions "comment est-ce qu'on te nomme?" Et on a décidé de ne pas te nommer pour le moment. Ça allait être "un membre du Conseil consultatif communautaire du CHUV".
Exactement, du PPI.
Voilà du Patient and public involvement. Et puis disons, peut-être neuf mois plus tard, quand on était en train d'écrire les résultats de cette recherche, on s'est reparlé pour voir comment tu voulais être nommée à ce moment-là. Et là, grand changement.
Là, j'ai décidé de me nommer, de mettre mon nom comme tout le monde me connaît ici en Suisse.
Comme co-auteure dans le document.
Ellen Carter, d'accord. Et puis, juste avant la publication, mais aussi en lien avec le festival, j'ai beaucoup réfléchi. Puis je me suis dit mes enfants sont en train de se marier et mon nom de mariée Carter ça risque de changer. Je risque de reprendre mon nom de jeune fille, qui est Richter. Et tellement je veux m'afficher avec ça, être connue et puis avancer avec ça, j'ai décidé de mettre les deux noms, c'est pour ça que tu me connais maintenant comme Ellen Carter-Richter, parce que je ne veux pas qu'une partie de ce que je fais soit perdu parce qu'on ne le retrouve plus. Donc si je m'appelle Carter ou Richter, on sait où me trouver. Je crois que j'ai dit assez souvent mon nom maintenant.
Oui, ça, ça va. Mais me vient qu'il y a presque une sorte de renaissance en fait.
Oui.
En sorte, tu es renommée.
Oui et je revis.
Et tu revis depuis que tu peux en parler plus ouvertement.
Est-ce que le fait d'en parler ouvertement? Comment dire? Je sais que moi, par exemple, quand j'ai rencontré mon mari, j'avais déjà un diagnostic depuis très longtemps. Il n'y avait pas de ce choc du diagnostic comme pour beaucoup de personnes. Est-ce que ça a quand même aussi produit des tensions chez toi?
Oui, alors avec mon conjoint, lui il veut toujours me protéger. Donc c'est vrai que quand j'ai eu le diagnostic, lui il a eu très très peur. Premièrement, sa première réaction "est-ce que c'est moi qui t'ai donné ça" et une sorte de culpabilité avant de savoir que en fait lui il ne l'a pas, donc il n'a pas pu être la personne. Puis je lui ai dit après "mais, même si tu l'avais, on n'aurait jamais su qui l'avait donné à l'autre". Et puis il a toujours été très très protecteur avec moi. Et c'est vrai qu'au début, lui, il pensait que c'était mieux de ne pas le dire parce qu'il avait peur pour mon travail. Il avait peur, vraiment, que les gens me jugent surtout dans le monde du travail, pas pour les amis. Il a dit ça : c'est un filtre assez utile si on le dit, s'il y a des gens qui ne veulent plus te connaître et ne veulent plus être amis, ce n'étaient pas des amis à la base. Mais donc lui, c'était vraiment pour me protéger.
Par rapport à ce monde du travail notamment.
Exactement. Après, il a dit "Mais de toute façon, quoi que tu décides de faire, je vais te soutenir". Donc ça a été un moment de tension, un petit moment, mais ça n'a pas duré longtemps.
C'est intéressant que tu nommes la question du monde de travail, parce que dans les résultats de la recherche que l'on a faite ensemble, effectivement, le lieu de travail est un des lieux de non-dits. Un des lieux où les gens ont l'impression de ne pouvoir vraiment pas en parler. Et il me revient que je suis venu manger avec toi dans ton lieu de travail, il y a dix jours dans le très beau restaurant chez vous. Et puis déjà, d'une part, on en parlait très ouvertement à table de toutes ces questions dont on discute aujourd'hui avec Pierre et le maître d'hôtel qui était aussi là et a qui t'a dit "Voilà, je te présente David, c'est mon mentor dans le VIH", etc. C'était tout ouvert comme ça. Et je m'étais dit "Qu'est-ce qui fait que tu as pu t'ouvrir à ce sujet dans un lieu de travail" qui est quand même effectivement, comme ton conjoint l'a bien vu, comme la recherche le démontre bien, qui n'est pas forcément le lieu où c'est le plus facile.
Alors avant de participer à la soirée pour la journée internationale des femmes, je voulais moi même parler avec mon directeur. Parce que je voulais qu'il l'apprenne de moi, pas par un autre moyen. Je savais que je ne voulais plus le cacher et que j'allais faire des choses plus publiquement. Et puis j'ai discuté avec lui et l'encouragement qu'il m'a donné était juste incroyable. Il a dit "Mais c'est ta décision d'abord". Et une fois que tu as pris ta décision, moi je vais te soutenir dans tout ce que tu décides de faire. Et si tu veux utiliser aussi la plateforme de l'institution pour aller plus loin, pas simplement que ce soit quelque chose que les gens puissent apprendre parce qu'ils tombent sur le podcast ou sur quelque chose où il y a ton nom, mais quelque chose où on affirme, on publie. Moi, je serai très intéressé. C'est une question qu'on va rencontrer de plus en plus en fait, dans le monde des EMS, avec la population vieillissante qui a le diagnostic. Donc ce serait intéressant d'utiliser aussi la plateforme pour aller plus loin avec avec l'information et les formations.
Chapeau à ton directeur, entre parenthèses. Non seulement, il t'a soutenu au niveau personnel, mais aussi au niveau institutionnel. Et puis il voit bien l'enjeu. Effectivement, on sait très bien que l'âge moyen des personnes vivant avec le VIH en Suisse aujourd'hui est autour de 53-54 ans et bien sûr toujours vieillissant comme tout le monde. Et donc effectivement, c'est un des grands enjeux de ces prochaines années, c'est l'arriver en EMS. Donc ça fait beaucoup de bien d'entendre qu'il y a des directeurs et directrices d'EMS qui sont conscients et qui voient ça d'un œil positif.
Ah oui, alors je n'attendais pas moins, mais comme souvent, il s'est surpassé.
Et puis moi, ce qui me vient aussi, c'est que peut-être, que toi tu es cadre dans cette institution. Tu es proche du directeur. Tu le connais bien. Comme tu dis : "Je pouvais prévoir qu'il réagisse comme ça". Mais peut-être aussi, le fait qu'il y ait des personnes au niveau cadre, au niveau de la direction qui soit sont soutenants, soit disent ouvertement qu'elles vivent avec le VIH, ça peut faire en sorte que dans toute l'entreprise, les gens pourraient le sentir, s'ils ont besoin ou envie, qu'ils pourraient aussi en parler avec leur hiérarchie.
Absolument. Oui,
Oui, mais donc on sait que ce n'est pas toujours facile ce processus. Et puis tu as parlé tout à l'heure d'Entraide Plus, de ce projet de mentoring. Donc je dis juste en deux mots. Les mentors, c'est au CHUV parce que ça se passe et les mentors sont une dizaine de personnes qui vivent bien, comme on dit, avec le VIH depuis un certain moment, qui reçoivent des petites formations et des formations continues, et que l'on met en binôme avec des personnes qui viennent de recevoir un diagnostic ou bien qui passent un moment difficile dans leur vie avec le VIH et qui aimeraient en parler avec quelqu'un d'autre.
Oui, c'est ça.
Et toi, t'es mentor dans ce dans ce projet?
Oui, parce que nous, on était le premier binôme, presque si tu veux, dans le sens que toi, tu m'as fait tellement du bien quand j'ai pu enfin dire à quelqu'un d'autre, pas quelqu'un "médical", pas quelqu'un "médecin", mais quelqu'un qui vivait la même chose. Alors, on vit une partie la même chose. C'est clair que moi j'ai eu mon diagnostic il y a six ans. Les médicaments étaient déjà au top. Je prends une pastille par soir. Je n'ai jamais eu de contraintes ou d'effets secondaires de ça. Et je sais que les gens qui vivent depuis longtemps avec, ils devaient prendre toute une panoplie de Smarties tous les jours. À des heures précises. Trois fois par jour, quatre fois par jour. Avec nourriture, sans nourriture. Avec des effets secondaires, etc. Alors ça, je n'ai jamais connu. Par contre, la stigmatisation, le sentiment d'avoir fait quelque chose de faux, de ne pas vivre ça bien, de vivre en partie dans le secret, ça c'est quelque chose qu'on vit tous. Et j'avais reçu tellement de ta part. Je me suis dit, je veux aussi donner. Et puis ça m'a aidé, moi. C'était drôle, parce que j'ai voulu aider les autres, parce que je savais que c'était important. Mais j'ai reçu autant dans les échanges et les discussions que j'ai faits. J'ai suivi, je crois, six ou sept personnes maintenant. Et j'imaginais que ça allait être des gens comme moi que j'allais rencontrer. Mais en fait, j'ai rencontré des hommes homosexuels. J'ai rencontré des femmes d'Afrique. J'ai rencontré toutes sortes de personnes, des jeunes hommes qui viennent d'être diagnostiqués. Et en réalité, tout le monde enrichit quelque part. Tout le monde a besoin de quelque chose. Et une des choses que j'ai trouvé très intéressante et je ne m'y attendais absolument pas, c'est que moi j'attendais à ce que ce soient des gens qui venaient d'avoir le diagnostic. Et c'est clair qu'une ou deux personnes c'était le cas. Mais les autres que j'ai rencontré et ce qui m'a le plus surpris, c'étaient des gens qui vivent avec depuis 20 ou 30 ans, qui n'avaient jamais parlé avec quelqu'un d'autre qui a le diagnostic. Et ça, je me suis dit "mais quelle souffrance!" Et puis c'est ce qu'elles ont dit aussi. Elles souffrent de ce fardeau de devoir garder le secret en permanence et de cette peur. Et c'est une des choses qui m'a motivée encore plus à avoir à dire "il faut qu'on casse ça". Mais c'est quelque chose que je sais être bénéfique pour tous ceux avec qui j'ai discuté et ça les a aidés à se rendre compte que, en fait, on n'est pas seul. Et puis il n'y a pas un visage du VIH aujourd'hui. Il y a 50 visages. Il y a autant de visages qu'il y a de personnes. Ce n'est pas juste les homosexuels ou les personnes d'Afrique ou... c'est vraiment, "ça peut être n'importe qui".
Donc est-ce que tu dirais que l'enjeu principal que tu rencontres dans ces rencontres, c'est ces questions de lourdeur du secret comme tu dis.
Oui, absolument, absolument. Et puis se sentir isolé. Sentir, oui, cette peur d'être découvert, cette peur d'être rejeté, cette peur de tomber malade aussi. Même s'ils prennent les médicaments, ils l'ont toujours. Moi j'ai l'avantage d'être dans le monde médical, donc j'arrive à trouver les réponses, pas seulement avec le médecin. Mais ceux qui disent : "non, non, les médecins nous disent ça juste pour nous, pour nous faire plaisir. Mais en réalité voilà, je sais que je vais, ça va très très mal finir".
Donc même quand ils ont eu le stample du médecin qui dit "non, mais ça va très bien, c'est des traitements, etc". Les personnes n'arrivent pas à intégrer ça en fait.
Non.
Alors que quand ils rencontrent quelqu'un d'autre qui vit avec, qui n'est pas un professionnel de la santé, enfin qu'ils rencontrent, qui est peut-être une personne de la santé, mais dans un autre cadre, dans le cadre d'entre pairs, ils entendent autrement ce message.
Oui, je pense que l'efficacité du médicament, on dit aujourd'hui que "indétectable" ça veut dire "intransmissible". C'est à dire que quand on prend le médicament qui est efficace, on ne détecte plus le VIH dans le sang. On peut avoir des relations sexuelles sans risque de le transmettre aux autres. Et le nombre de personnes qui me disent "je sais qu'on m'a dit ça, mais j'utilise toujours une capote". Et puis ils me demandent. Je dis ben non, nous on n'utilise pas avec mon homme. Et puis ça fait douze ans qu'on est ensemble et puis il n'y a aucun souci. Je sais qu'il n'y en a pas besoin. Puis, même quand ils savent, même quand ils ont l'information, ils n'osent pas. Et quand ils ont besoin de demander à quelqu'un comme moi qui vit avec pour se dire "OK, je peux le faire sans. Je n'ai pas besoin de le dire aussi. C'est bon". Et ça, je trouvais aussi intéressant.
Tout à fait. Donc ce sont des personnes aussi effectivement, comme moi, comme tu as nommé tout à l'heure, qui vivent avec, qui ont encore ces images très anciennes dont on a du mal à se défaire effectivement. Maintenant, j'aimerais faire un petit fast forward comme on dit en bon français. Deux anglophones qui se parlent, catastrophe. Mais bon, voilà. Le 8 mars dernier justement, on a eu cet événement pour la journée internationale des droits des femmes, justement sur le VIH et les femmes. C'était au musée de la Main à Lausanne et tu as un peu fait ton coming out public.
Absolument, c'est exactement ça.
Y compris, tu es passé par un entretien avec la RTS, 12h30.
Le jour même.
Le jour même, oui. Bien sûr, j'étais là aussi avec toi. Et puis, il y avait toute ta famille dans la salle, enfin une grande partie de ta famille dans la salle aussi.
Mes trois filles, mon conjoint, des amis.
Alors comment c'était pour toi à ce moment-là?
C'était. Il y avait beaucoup d'émotion. C'était très fort mais c'était aussi, comme je l'ai dit avant, c'était libérateur de dire "Ok, je peux parler". Alors on était dans un contexte très bienveillant. Les gens étaient là pour comprendre parce qu'ils voulaient soutenir, ils voulaient apprendre plus. C'était quand même un public averti quelque part. Mais je trouvais très fort parce que tout le monde, depuis le plus érudit Professeur Cavassini jusqu'au Monsieur et Madame qui sont venus parce qu'ils voulaient apprendre un peu plus, tout le monde a appris quelque chose pendant la soirée. Et je trouve que ça, c'est quelque chose qui est important. C'est qu'on continue à apprendre et de pouvoir faire partie de ça. Faire partie de ce mouvement où on met ça dedans. On enlève ça juste des médecins, puis qu'on amène ça dans le public, On amène ça aux gens de la rue, on amène ça d'une manière plus plébiscitée.
Plus accessible.
Voilà, je trouve que c'était très important. Et puis c'est quelque chose que plusieurs personnes qui ont repris contact avec moi ont dit. Mais il faut refaire ça de manière un peu plus large, parce que les médecins, eux, ils ont déjà les informations et facilement l'accès, mais c'est le public qui a besoin de le savoir.
Oui, tout à fait. Mais ce que je trouve aussi intéressant justement dans cette mixité qu'on a eue ce soir-là, on était, je pense, une cinquantaine quand même. C'est que, en fait, il y avait des personnes vivant avec, des femmes vivant avec. Et comme tu dis, le professeur Cavassini ou d'autres médecins ou chercheurs. Et puis il y avait une sorte de mélange de gens comme ça. Où tout le monde, j'avais l'impression que tout le monde avait une parole qui avait la même valeur, les uns les unes, et écouter les autres. Il n'y avait pas une personne qui avait la bonne parole, qui avait la vérité. Il y avait vraiment des moments d'échanges. Je pense que c'est ça qui fait en sorte que tout le monde pouvait effectivement apprendre quelque chose de cette soirée.
Oui, et puis il y avait une authenticité aussi dans les discussions qu'ils ont eu, où les gens osaient dire "Ah oui, mais je pensais autre chose, je ne savais pas ça". Moi, j'ai eu peur quand il y avait quelqu'un qui était venu, qui était dans un des groupes, qui travaille comme assistante en radiologie, qui devait faire une piqûre sur quelqu'un. C'était marqué sur les notes, dans le dossier de la personne "VIH". Et puis les trois personnes dire "mais on n'ose pas la piquer". Et puis là, elle est venue parce qu'elle, elle a vécu cette situation. Elle dit "mais moi j'en ai fait partie et je me rends compte que je ne connais pas, je ne connais pas assez. Il faut que je me renseigne et il faut qu'on en fasse plus pour que les gens aient les bonnes informations". Et puis que cette peur soi-même dans le monde médical soit dissipée. Donc c'était intéressant que chacun venait de son point de vue, de sa perspective sur le même sujet et pouvait s'enrichir. Il n'y avait pas "Moi, j'ai la vérité. Toi, tu n'as rien compris ou non, ce n'est pas comme ça. C'est comme si". Non, chaque personne avait des points à prendre et à donner. Oui, tout à fait.
Alors je sais qu'on pourrait en parler pendant des heures. Je le sais parce qu'on l'a déjà fait. Dans ces cas-là.
On a déjà fini, non?
Oui, oui, on arrive gentiment au bout. Je reste avec un peu ton mot de la fin qui est ce besoin de dissipation de la peur. C'est une des choses aussi qu'on essaie de faire avec ce podcast parmi tous les projets qu'on met en place. Et puis Ellen, frangine.
Oui, frérots.
Compagnons de route. Je te remercie beaucoup et je te souhaite bonne route.
Merci beaucoup. Merci.
Salut!
Salut!
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